14
J’ai dormi des heures.
Quand je me suis réveillée, Nikkie n’était plus là.
Panique à bord ! Puis j’ai remarqué la couverture pliée sur le canapé, le gant mouillé dans la salle de bains, la disparition de ses chaussures. Ouf ! J’ai respiré. Elle m’avait laissé un petit mot, sur une vieille enveloppe qui m’avait déjà servi de liste pour les courses : « Je t’appelle plus tard. N. »
Un peu court comme témoignage de reconnaissance, non ?
Apparemment, il allait se passer un bon moment avant qu’on retrouve notre complicité. Ça m’a fait de la peine. Mais je l’avais indirectement forcée à se regarder de plus près qu’elle ne l’aurait voulu, et elle aurait du mal à me le pardonner.
Mon épaule semblant aller nettement mieux, j’ai décidé de prendre la voiture pour me rendre au centre commercial de Clarice. Comme ça, je pourrais regrouper tous mes achats d’un coup. Et puis, au moins, là-bas, je ne risquais pas de faire de mauvaises rencontres – autrement dit : d’avoir à expliquer trente-six fois l’effet que ça faisait de se prendre une balle, comme ça, à l’improviste, pratiquement en pleine rue.
C’était très reposant de pouvoir me balader incognito dans l’immense galerie marchande. J’ai fait les choses en douceur, sans me presser, en lisant attentivement les étiquettes. J’ai même pris le temps de choisir un rideau de douche pour l’appartement. Une fois mes achats terminés, j’ai vidé mon chariot dans la voiture en m’efforçant de tout porter du côté droit pour ménager mon épaule. Quand je suis rentrée à Berry Street, j’ai trouvé la fleuriste de Bon Temps dans l’allée. Toutes les femmes ont un petit pincement au cœur quand elles voient le camion du fleuriste s’arrêter devant leur porte, moi comme les autres.
— Je fais dans le tir groupé, aujourd’hui, m’a annoncé Greta Dearborn.
Greta avait le visage aplati et une silhouette plutôt trapue, comme son mari. Mais, contrairement au shérif, c’était une heureuse nature, et elle n’était pas soupçonneuse pour deux sous.
— Tu as drôlement de la chance, Sookie.
— Oui, m’dame, on peut le dire ! lui ai-je répondu, avec juste ce qu’il fallait d’ironie.
Après m’avoir aidée à transporter mes sacs dans la cuisine, Greta a commencé sa livraison.
Nikkie m’avait envoyé une petite composition de marguerites et d’œillets blancs dans un vase. J’adore les marguerites, et le blanc et le jaune faisaient très bien dans la cuisine. La carte disait juste : « De la part de Nikkie. » Hum !
Calvin m’avait envoyé un petit gardénia en pot avec un gros nœud. Une fois le danger des gelées tardives de printemps écarté, je pourrais le replanter. Il allait embaumer ma cour pendant des années. Quelle preuve de délicatesse de la part de Calvin ! Comme il avait dû commander par téléphone, la carte ne portait qu’un message conventionnel : « Amicales pensées, Calvin. »
Pam m’avait envoyé un bouquet mélangé et avait écrit : « Cesse donc de vouloir te faire remarquer, sinon on va te descendre pour de bon. De la part de toute l’équipe du Croquemitaine. » Ça m’a fait marrer.
J’ai tout de suite pensé à envoyer des mots de remerciement, mais je n’avais pas de papier à lettres. Il faudrait que je passe à la pharmacie en acheter. L’officine locale avait un coin carterie et vendait aussi des boîtes agréées pour les colis postaux. Les commerçants avaient intérêt à se diversifier, dans un bled paumé comme Bon Temps.
J’ai rangé mes courses, pendu mon rideau de douche – ça n’a pas été sans mal – et je me suis préparée pour aller travailler.
En franchissant la porte de service, je suis tombée sur Sweetie Des Arts, les bras chargés de serviettes et de torchons.
— T’es une sacrée coriace, toi, m’a-t-elle lancé. Comment ça va ?
— Ça va.
— J’ai entendu dire que tu t’étais baissée au dernier moment, a-t-elle enchaîné. Comment ça se fait ? T’as entendu quelque chose ?
— Pas exactement.
Sam est sorti de son bureau à ce moment-là, ses béquilles à la main. Il était de mauvaise humeur, ça se voyait. Je n’avais aucune envie de révéler à Sweetie ma petite particularité, à plus forte raison pendant mon temps de travail et devant mon patron.
— Juste une intuition, ai-je répondu, avec un haussement d’épaules désinvolte pour faire bonne mesure – aïe ! Comment un geste aussi anodin pouvait-il faire aussi mal ?
Sweetie a secoué la tête, épatée par la chance insensée que j’avais eue, avant de regagner son poste derrière les fourneaux.
Sam m’a indiqué la porte de son bureau d’un petit coup de menton revêche, et je l’ai suivi à l’intérieur, la mort dans l’âme. Il a refermé la porte derrière moi.
— Qu’est-ce que tu fabriquais quand tu t’es fait tirer dessus ? a-t-il aussitôt lancé, les yeux flamboyants de colère.
Hé ! Je n’allais pas me faire enguirlander pour ce qui m’était arrivé, en plus !
— J’étais juste venue changer mes bouquins à la bibliothèque, ai-je sifflé entre mes dents.
— Alors, comment ça se fait que le tireur t’ait prise pour un changeling ?
— Je n’en ai pas la moindre idée.
— Avec qui avais-tu traîné ?
— J’étais allée voir Calvin et je...
Ma phrase est restée en suspens. Je venais juste d’avoir une petite idée, une idée qui commençait à germer...
— Attends un peu... Qui peut détecter une odeur de changeling ? ai-je demandé lentement, à mesure que l’idée en question se précisait. Personne, si ce n’est un autre changeling, hein ? Ou quelqu’un qui a du sang de changeling dans les veines. Ou un vampire. Une créature surnaturelle quelconque, en tout cas, non ?
— Mais ça fait un bail qu’on n’a pas eu de nouveaux changelings dans le coin.
— Es-tu allé jeter un œil là où le tireur était censé se tenir, pour voir s’il avait laissé des traces ?
— Non. La seule fois où je me suis trouvé sur place en même temps que le tireur, j’étais un peu trop occupé à me tenir la jambe en hurlant.
— Mais peut-être que maintenant, tu pourrais découvrir quelque chose.
Sam m’a jeté un regard dubitatif.
— Il a plu... Mais ça vaut peut-être la peine d’essayer, a-t-il fini par concéder. J’aurais dû y penser. D’accord. Ce soir, après la fermeture.
— J’y serai, ai-je lancé d’un ton sec, tandis qu’il s’écroulait dans son vieux fauteuil grinçant.
J’ai rangé mon sac dans mon casier et j’ai filé au bar m’occuper de mes clients.
Charles était en train de servir une bière. Il m’a quand même adressé un petit signe de tête et un sourire, avant de se concentrer sur le niveau de bière dans la chope qu’il tenait sous le robinet de la pompe. Une de nos habituées, Jane Bodehouse, alcoolique notoire, était assise au comptoir, les yeux rivés sur Charles. Ça ne semblait pas déranger le pirate, qui continuait à travailler comme si de rien n’était. Le bar avait retrouvé son rythme normal : le nouveau barman faisait déjà partie du décor.
Moins d’une heure après le début de mon service, Jason a débarqué. Il tenait Crystal étroitement serrée contre lui : un véritable amoureux transi. Et il paraissait plus heureux que je ne l’avais jamais vu. Sa nouvelle vie l’exaltait, et il adorait la compagnie de sa nouvelle petite amie.
Crystal m’a dit que Calvin devait sortir de l’hôpital le lendemain pour rentrer à Hotshot. Je n’ai pas oublié de mentionner le gardénia qu’il m’avait offert et je lui ai dit que je lui apporterais à dîner pour son retour.
Crystal était pratiquement sûre d’être enceinte. Malgré le brouillage habituel qui m’empêchait de lire dans l’esprit des changelings, je parvenais à capter cette pensée avec une surprenante netteté. À croire qu’elle n’avait que ça en tête. Ce n’était pas la première fois qu’une des innombrables conquêtes de mon frère voyait déjà Jason papa. J’espérais juste que cette fois-là n’aurait pas plus de conséquences que les précédentes. Non que j’aie quelque chose contre Crystal, mais... Bon. OK, OK, je me racontais des histoires. J’avais effectivement quelque chose contre elle. Crystal appartenait à la communauté de Hotshot et elle n’en partirait jamais. Or, je n’avais aucune envie de voir mes neveux et nièces élevés dans cet étrange village isolé, sous l’influence des vibrations magiques de ce mystérieux carrefour autour duquel toutes les maisons de Hotshot s’agglutinaient.
Crystal n’avait encore rien dit à Jason. Et elle garderait le silence tant qu’elle n’aurait pas acquis la certitude qu’elle était enceinte. Je ne pouvais qu’approuver. Elle a siroté son demi, pendant que Jason en descendait trois. Ensuite, ils sont partis voir un film à Clarice. J’étais trop occupée à servir une brochette de représentants de la loi bon teint pour leur dire au revoir : Alcee Beck, Bud Dearborn, Andy Bellefleur, Kevin Prior et Kenya Jones, plus le dernier béguin d’Arlène – l’expert ès incendies, Dennis Pettibone – étaient réunis autour de deux tables qu’on avait rapprochées dans un coin de la salle. Il y avait aussi avec eux deux autres types que je ne connaissais pas, mais je n’ai eu aucun mal à découvrir qu’ils étaient flics.
Arlène aurait peut-être bien aimé s’occuper d’eux, mais ils étaient dans mon secteur et ils discutaient d’un truc qui avait l’air drôlement important : quand j’étais venue prendre leurs commandes, ils s’étaient tous tus et, dès que j’avais eu le dos tourné, ils s’étaient remis à parler. Je me fichais royalement de ce qu’ils se racontaient, évidemment, puisque je savais déjà ce que chacun d’eux, sans exception, avait dans la tête.
— Qu’est-ce qu’on mijote là-bas, dans le fond, à la conférence au sommet de ces messieurs de la force publique ? s’est enquis Charles.
Jane avait disparu d’un pas chancelant vers les toilettes, et il était provisoirement seul au bar.
— Voyons...
J’ai fermé les yeux pour mieux me concentrer.
— Ils envisagent d’organiser une expédition de surveillance ce soir et ils sont convaincus qu’il y a un rapport entre l’incendie de ma maison et les tirs. Ils se demandent même si la disparition de Debbie Pelt ne serait pas liée à tout ça, puisque la dernière fois qu’elle a été vue, elle prenait de l’essence sur l’autoroute, à la station la plus proche de Bon Temps... Et mon frère a disparu aussi, durant plusieurs jours, il y a quelques semaines... Peut-être que ça rentre également dans le scénario...
J’ai ouvert les yeux, en secouant la tête... et je me suis retrouvée nez à nez avec Charles. Le pirate me regardait, son bon œil – le droit – rivé à mon œil gauche.
— Vous jouissez de dons fort singuliers, jeune dame, a-t-il finalement commenté, au bout d’un moment. Mon ancien employeur montrait un goût très prononcé pour les excentricités de ce genre.
— Pour qui travailliez-vous, avant d’arriver sur le territoire d’Eric ?
Il s’est retourné pour attraper la bouteille de Jack Daniels.
— Pour le roi du Mississippi.
J’ai eu l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds.
— Pourquoi avoir quitté le Mississippi pour venir ici ? lui ai-je demandé, ignorant délibérément les beuglements impatients qui s’élevaient d’une de mes tables, à moins de trois mètres de là.
Le roi du Mississippi, Russell Edgington, me connaissait en tant que petite amie de Léonard Herveaux, et non en tant que télépathe qui mettait occasionnellement son «don » au service des vampires. Il n’était pas impossible qu’Edgington ait une dent contre moi. Bill avait été emprisonné dans l’ancienne écurie de sa propriété, où il avait été torturé par Loréna – celle qui l’avait vampirisé près d’un siècle et demi auparavant. Bill s’était échappé, et Loréna s’était pris un pieu en plein cœur. Russell Edgington n’était pas censé savoir que j’étais responsable de ces deux événements, mais rien ne prouvait non plus qu’il l’ignorait...
— J’en ai eu assez des manières de Russell, m’a répondu Charles. Je ne partage pas ses penchants, et me retrouver perpétuellement entouré de pervers a fini par me lasser.
« Pervers » ? Quand je vous disais que, parfois, les vampires retardent...
Edgington appréciait effectivement la compagnie des hommes. Sa baraque regorgeait de beaux éphèbes. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir un compagnon attitré, un humain nommé Talbott.
Bien que je ne l’aie pas remarqué, peut-être Charles se trouvait-il chez Edgington lorsque j’y étais allée. J’étais grièvement blessée quand j’avais été transportée de toute urgence chez Edgington, cette nuit-là : je n’avais pas pu voir tous les hôtes du vaste manoir et je ne me souvenais pas forcément de ceux que j’avais croisés.
Charles et moi ne nous étions toujours pas quittés des yeux. À force de les côtoyer, les vampires les plus âgés percevaient parfaitement les émotions des humains, et je me suis demandé quelles informations le pirate tirait des expressions de mon visage et de mon attitude. Pour une fois, j’aurais bien voulu pouvoir lire dans les pensées d’un vampire. Je me suis aussi demandé si Eric était au courant du passé de Charles. Mais il ne l’aurait sûrement pas engagé sans avoir fait sa petite enquête au préalable. Eric Nordman avait traversé l’histoire, et il n’aurait pas survécu s’il ne s’était pas montré d’une prudence exemplaire.
C’est finalement moi qui ai détourné les yeux la première. Il fallait bien répondre aux appels insistants de ma tablée de couvreurs, qui essayaient vainement de se faire servir une énième tournée de demis depuis déjà plusieurs minutes.
Durant le reste de la soirée, j’ai évité de m’attarder au comptoir. Ça m’étonnait que Charles se soit laissé aller aux confidences. De deux choses l’une : soit il me surveillait et il tenait à ce que je le sache, soit il ignorait vraiment que je m’étais rendue dans le Mississippi récemment.
Ça a suffi à m’occuper l’esprit une bonne partie de la soirée.
Enfin, ma journée de boulot s’est achevée. On a été obligés d’appeler le fils de Jane pour qu’il vienne chercher sa poivrote de mère – la routine, en somme. Notre nouveau barman n’avait pas dételé. Il avait bossé à un bon rythme, sans jamais commettre la moindre erreur et en ayant toujours un petit mot aimable pour chaque client : son bocal à pourboires était bien rempli.
Bill est arrivé pour récupérer son pensionnaire. J’aurais bien voulu lui parler en tête à tête, mais Charles a rejoint Bill en un clin d’œil, et je n’en ai pas eu l’occasion. J’ai trouvé que Bill me regardait bizarrement, mais je n’ai pas eu le temps d’ouvrir la bouche qu’ils étaient déjà partis. Je ne sais pas ce que je lui aurais dit, de toute façon. Puis j’ai réalisé que Bill avait vu les plus dangereux des hommes de Russell Edgington, puisque ces types l’avaient torturé. S’il ne connaissait pas Charles Twining, on pouvait peut-être en conclure que le pirate était inoffensif.
Sam m’a annoncé qu’il était prêt à partir pour notre petite expédition nocturne. J’ai enfilé mon beau manteau, ainsi que les gants et le chapeau que j’avais achetés pour aller avec. J’en aurais bien besoin. Quoique le printemps se fasse de jour en jour plus proche, l’hiver n’avait pas encore dit son dernier mot.
Il ne restait plus personne au bar. La voiture de Jane exceptée, le parking était désert. Dans la lumière crue des lampadaires, l’obscurité semblait plus noire encore. J’ai entendu un chien aboyer au loin. Sam avançait prudemment sur le sol inégal en s’aidant de ses béquilles.
— Je vais me changer, m’a-t-il annoncé.
Et il ne parlait pas de sa tenue.
— Qu’est-ce qui va se passer avec ta jambe ?
— On verra bien.
Sam était un changeling pur jus, issu de parents tous deux changelings : il pouvait changer de forme en dehors des nuits de pleine lune. Il avait la capacité de se transformer en un tas d’animaux différents, mais il avait une nette préférence pour les chiens et, plus particulièrement, pour un colley dont il prenait régulièrement l’apparence.
Sam s’est retranché derrière la haie qui délimitait la petite cour de son mobile home pour se déshabiller, si bien que je ne voyais plus que le haut de son corps. Même dans l’obscurité, j’ai perçu le déplacement d’air autour de lui, cette sorte de vibration qui signalait toujours la magie à l’œuvre. Il est tombé à genoux avec un hoquet de douleur, puis a disparu derrière les buissons. Moins d’une minute plus tard, un grand limier – un chien de saint-hubert roux – a trottiné vers moi, les oreilles dressées et en perpétuel mouvement. Je n’étais pas habituée à voir Sam sous cet aspect et j’ai d’abord eu une hésitation. Mais quand le chien m’a regardée, j’ai su que c’était lui.
— Viens, Buffy.
C’était le nom que j’avais donné à Sam quand je l’avais rencontré pour la première fois sous sa forme canine, avant de comprendre que l’homme et l’animal ne faisaient qu’un. Le limier est parti devant moi, traversant le parking pour gagner les sous-bois et l’endroit où le tireur s’était embusqué en attendant que Sam sorte du bar. J’ai bien étudié la façon dont l’animal se déplaçait. Il semblait ménager sa patte arrière gauche, mais ne boitait pas vraiment de façon flagrante.
Je l’ai suivi. Il faisait nuit noire, mais j’avais apporté une lampe de poche. Bizarrement, quand je l’ai allumée, les hautes silhouettes sombres des arbres n’en sont devenues que plus menaçantes. Le limier – Sam – avait déjà atteint l’endroit où, d’après la police, le tireur avait pris position pour lui tirer dessus. Bajoues ballottantes, le chien s’est mis à tourner en rond en flairant le sol en tous sens. Quant à moi, je me tenais en retrait. Que vouliez-vous que je fasse ? Je ne lui étais d’aucune utilité. Tout à coup, Buffy a levé la tête vers moi, a émis un petit aboiement et s’est dirigé vers le parking. Je lui ai emboîté le pas, en me disant qu’il devait avoir réuni toutes les informations qu’il pouvait obtenir sur place.
Comme prévu, j’ai fait monter Buffy dans la Malibu pour l’emmener derrière de vieux immeubles, en face du Sonic, là où le tireur s’était caché, la nuit où la pauvre Heather Kinman avait été assassinée. J’ai emprunté l’allée qui desservait l’arrière des bâtiments – d’anciens magasins abandonnés – et je me suis garée à la hauteur de l’ancienne teinturerie – Patsy’s Cleaners avait déménagé, plus de quinze ans auparavant, pour s’installer dans un autre local mieux placé. Entre la teinturerie et la graineterie depuis longtemps désaffectée, une étroite ruelle offrait une vue imprenable sur le Sonic. Le fast-food était fermé pour la nuit, mais encore éclairé. Comme le Sonic donnait sur la rue principale de Bon Temps, les lampadaires ne manquaient pas, et je voyais parfaitement tout ce qui se trouvait dans le périmètre que la lumière délimitait. Malheureusement, ça ne rendait les ombres, à l’extérieur dudit périmètre, que plus impénétrables.
Le limier a une fois encore exploré le secteur, en insistant plus particulièrement sur la petite ruelle envahie de mauvaises herbes qui se faufilait entre les deux magasins abandonnés, un étroit goulet tout juste assez large pour laisser passer un homme. A un moment donné, il a semblé tout excité par ce qu’il reniflait. Je me suis laissé gagner par son enthousiasme, persuadée qu’il avait trouvé quelque chose – une preuve qu’on pourrait fournir à la police, peut-être.
Soudain, Buffy s’est redressé et s’est mis à aboyer, le regard dirigé derrière moi. Je me suis machinalement retournée. Andy Bellefleur se tenait dans l’allée, juste à l’entrée de la ruelle qui séparait les deux bâtiments. Seuls son visage et son torse apparaissaient dans la clarté des réverbères.
— Andy Bellefleur ! Par le Seigneur et tous ses saints ! Tu veux me faire mourir de peur ou quoi ?
C’était ma faute, aussi : si je n’avais pas été aussi absorbée par les recherches de Buffy, je l’aurais « entendu » arriver. Bon sang ! La fameuse expédition de surveillance ! J’aurais dû y penser.
— Qu’est-ce que tu fiches ici, Sookie ? Et où as-tu déniché ce clebs ?
Impossible de trouver une réponse plausible.
— J’ai pensé qu’avec un chien bien entraîné, on pourrait peut-être suivre une piste à partir des différents endroits où le tireur s’est embusqué, ai-je déclaré.
Buffy était venu se blottir contre mes jambes, tout pantelant.
— Et depuis quand tu travailles dans la police ? a demandé Andy d’un ton dégagé, comme s’il prenait de mes nouvelles en buvant son premier café du matin. Je ne savais pas qu’on avait un nouvel inspecteur dans la commune.
OK, c’était mal barré.
— Andy, si tu veux bien me laisser passer, je vais retourner bien gentiment à ma voiture avec mon chien et rentrer chez moi. Et tu n’auras plus aucune raison d’être en rogne contre moi.
Mais Andy avait bien l’intention de régler ses comptes avec moi. Il voulait remettre le monde sur les rails, des rails solides dont il ne devrait plus dévier. Je n’avais pas ma place dans ce monde-là et je ne voulais pas suivre la bonne voie. Je pouvais le lire dans ses pensées, et ça ne me plaisait pas.
J’ai compris trop tard qu’Andy avait un peu forcé sur les cocktails, au cours de la fameuse « conférence au sommet » Chez Merlotte. Il avait assez bu, en tout cas, pour faire sauter les verrous que sa bonne éducation lui imposait d’habitude.
— T’as rien à faire dans cette ville, Sookie, m’a-t-il craché.
— J’ai autant le droit d’y être que toi, Andy Belle-fleur.
— Tu es une erreur génétique, une sorte de monstre. Ta grand-mère était vraiment une brave femme et, d’après ce qu’on m’a dit, tes parents étaient des gens bien. C’est à se demander ce qui s’est passé avec Jason et toi !
Ses mots m’ont fait aussi mal que s’il m’avait gravé dans la chair une marque infamante au fer rouge.
— Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit d’anormal chez Jason et moi, Andy, lui ai-je calmement répondu. Je crois qu’on est des gens normaux, pas meilleurs mais pas pires que Portia et toi.
Andy a eu un petit reniflement dédaigneux.
Tout à coup, le flanc du chien pressé contre mes jambes s’est mis à vibrer. Buffy grondait. Mais ce n’était pas Andy qu’il regardait. La tête du limier était tournée dans la direction opposée, vers l’autre bout de la ruelle. J’ai perçu l’activité intense d’un autre cerveau. Pas celui d’un humain ordinaire, cependant.
— Andy, tu es armé ?
J’espérais qu’il percevrait mon murmure, en dépit de l’alcool qui embrumait son cerveau. Pourtant, ça ne m’a pas plus rassurée que ça de le voir dégainer son pistolet.
— Lâche ça, Bellefleur ! a ordonné une voix familière.
Andy a ricané.
— Et pourquoi donc ?
— Parce que j’ai un plus gros calibre que toi, lui a rétorqué la voix, toujours calme, mais franchement sarcastique, cette fois.
C’est à ce moment-là que Sweetie Des Arts est sortie de l’ombre, une carabine à la main. Elle la braquait sur Andy, et j’étais persuadée qu’elle n’hésiterait pas à tirer. Intérieurement, je me liquéfiais.
— Pourquoi tu ne ficherais pas le camp pendant qu’il en est encore temps, Andy Bellefleur ? a repris Sweetie.
Elle portait un bleu de travail, un blouson en cuir, des bottes et des gants. Difficile de l’imaginer derrière les fourneaux d’un snack-bar !
— Je n’ai rien contre toi. T’es juste un humain de base.
Andy secouait la tête, comme pour se remettre les idées en place. Il n’avait toutefois pas encore abaissé son arme.
— Vous êtes la nouvelle cuisinière de Chez Merlotte, non ? À quoi vous jouez, là, exactement ?
— Tu devrais le savoir, Bellefleur. J’ai entendu ta petite conversation avec le changeling. Peut-être même que ce chien en est un aussi.
Elle ne lui a pas laissé le temps de répondre.
— Et Heather Kinman ne valait pas mieux : elle se changeait en renard. Et ce type qui bosse chez Norcross – Calvin Norris ? C’est une saloperie de panthère !
— Et tu leur as tous tiré dessus ? Et c’est aussi toi qui as essayé de me descendre ?
Je voulais être bien sûre qu’Andy comprenait ce qui se passait.
— Il y a juste un truc qui cloche, dans ta petite vendetta personnelle, Sweetie : je ne suis pas un changeling.
— T’en as pourtant bien l’odeur, a répliqué Sweetie, manifestement convaincue d’avoir raison.
— Certains de mes amis sont des changelings et, ce jour-là, j’en avais embrassé plusieurs. Mais moi, je n’ai rien d’un changeling.
— En tout cas, tu es coupable d’intelligence avec l’ennemi. Et je mettrais ma main à couper que tu as du sang de changeling dans les veines.
— Et toi donc ?
N’allez pas croire que j’avais particulièrement envie de me faire tirer dessus une seconde fois. Certes, tout tendait à prouver que Sweetie n’était pas un tireur d’élite : Sam, Calvin et moi avions survécu. J’imaginais bien que ça ne devait pas être commode de viser dans le noir, mais quand même. Je ne cherchais pourtant pas à la provoquer. Je voulais juste la faire parler le plus longtemps possible, le temps qu’Andy reprenne ses esprits.
— Je ne suis pas un vrai changeling, a-t-elle protesté, en grognant presque autant que Buffy. J’ai été mordue. J’ai eu un accident de voiture, et ce... cette chose mi-homme mi-loup a surgi de la forêt, alors que je me vidais de mon sang sur la route. Elle m’a mordue, puis une autre voiture est arrivée et elle s’est enfuie. Mais à la première pleine lune qui a suivi, mes mains se sont transformées... En voyant ça, mes parents en ont rendu leur dîner.
— Et ton petit copain ? Tu devais bien en avoir un, non ?
Je n’osais pas m’interrompre. Je devais à tout prix conserver son attention. Andy était en train de prendre ses distances, s’éloignant de moi autant qu’il le pouvait, sans quitter Sweetie des yeux, pour qu’elle ne puisse pas faire coup double en nous tirant dessus. Elle avait l’intention de me descendre en premier, je le savais. J’essayais de repousser le chien, mais il restait fidèlement plaqué contre moi, comme pour me protéger. Sweetie n’était pas sûre que le chien soit un changeling, d’ailleurs. Et, curieusement, elle n’avait pas mentionné Sam, dans la liste de ses exploits.
— J’étais strip-teaseuse, à l’époque, et je vivais avec un super mec, m’a-t-elle répondu d’une voix frémissante de rage. Quand il a vu les poils apparaître sur mes mains, j’ai cru qu’il allait me cracher dessus. Les nuits de pleine lune, il préférait disparaître. Il avait des voyages d’affaires, des tournois de golf avec des amis ; il était retenu à une réunion qui s’éternisait...
— Et ça fait combien de temps que tu tires sur les changelings ?
— Trois ans, a-t-elle avoué, pleine de morgue. J’en ai tué vingt-deux et blessé quarante et un.
— Mon Dieu, quelle horreur !
— Et j’en suis fière, a-t-elle ajouté. Je suis fière de débarrasser la planète de cette vermine.
— Tu prends toujours des jobs dans des bars ?
— Ça me permet de mieux repérer mes frères d’infortune, a-t-elle répondu avec un ricanement. Je fais aussi les églises, les restaurants, les crèches...
— Oh, non !
J’ai cru que j’allais vomir.
J’étais en alerte maximale, naturellement. J’ai donc compris qu’il y avait quelqu’un dans la ruelle, derrière Sweetie. Je sentais la fureur qui bouillonnait sous le crâne d’un changeling. Je n’ai pourtant pas quitté Sweetie des yeux, essayant de toutes mes forces de monopoliser son attention aussi longtemps que possible. Mais un bruit infime – le frottement d’un bout de papier par terre, peut-être – a suffi à l’alarmer. Elle a immédiatement fait volte-face, la carabine à l’épaule, et elle a tiré. Un hurlement s’est élevé, à l’autre bout de la ruelle, puis une plainte déchirante.
C’est le moment qu’a choisi Andy pour intervenir, pendant que Sweetie avait encore le dos tourné. Je me suis plaquée contre le mur en briques de l’ancien magasin du grainetier. J’ai entendu la détonation. J’ai vu la carabine tomber et le sang sortir de la bouche de Sweetie, une coulée noire dans la pénombre. Puis elle s’est effondrée.
Pendant qu’Andy restait planté devant elle, avec son pistolet qui se balançait mollement dans sa main inerte, je me suis faufilée derrière eux pour aller voir qui était venu nous prêter main forte. Dans la flaque de lumière que jetait ma lampe de poche sur le bitume gisait un loup-garou. Il semblait à l’agonie. La balle de Sweetie l’avait frappé en pleine poitrine.
— Appelle les secours, Andy ! Vite !
Je comprimais à deux mains la blessure sanguinolente sans trop savoir si c’était ce qu’il fallait faire ou non. Sans compter que la plaie changeait d’une façon assez déconcertante : le lycanthrope était en train de reprendre forme humaine. Je me suis retournée vers Andy. Il était toujours cloué sur place, encore sous le choc de l’acte atroce qu’il venait de commettre. J’ai appelé mon fidèle compagnon à la rescousse :
— Mords-le, Buffy !
Le limier a trottiné jusqu’au policier et lui a mordillé la main.
Andy a poussé un cri d’orfraie et a brusquement levé son arme, comme pour tirer sur le chien.
— Non ! ai-je hurlé en bondissant vers Buffy. C’est ton portable qu’il faut dégainer, imbécile ! Appelle une ambulance !
C’est alors que le pistolet a décrit un arc de cercle pour se braquer sur moi.
Pendant un long moment de terreur, j’ai bien cru que ma dernière heure était arrivée. On voudrait tous se débarrasser de ce qu’on ne comprend pas, de ce qui nous fait peur, et je dérangeais tellement Andy Bellefleur...
Puis le pistolet a tremblé, avant de retomber au bout de son bras ballant. J’ai vu son regard se poser sur moi et la lumière se faire dans son esprit. Enfin !
Il a fouillé dans ses poches, à la recherche de son téléphone. À mon grand soulagement, il a rengainé son arme après avoir composé le numéro du poste de police.
Je suis revenue auprès du lycanthrope, qui avait repris l’apparence d’un homme, un homme aussi nu qu’Adam le jour de sa création.
— ... fusillade derrière l’ancienne graineterie de Magnolia Street, dans une ruelle perpendiculaire, juste en face du Sonic, disait Andy. C’est ça. Deux ambulances. Deux blessés par balle... Non, je n’ai rien.
Le loup-garou n’était autre que Dawson. Il a cligné des paupières et il a eu une sorte de hoquet gargouillant. Je préférais ne pas imaginer ce qu’il endurait.
— C... Calvin... a-t-il balbutié.
— Ne vous inquiétez pas, ai-je dit. Les secours arrivent.
Ma lampe de poche était posée sur le sol, à côté de lui, et le faisceau de lumière oblique éclairait ses énormes muscles et son torse velu. Il avait la chair de poule – fallait-il qu’il soit mal en point ! –, et je me suis demandé où il avait laissé ses vêtements. J’aurais bien aimé avoir ne serait-ce que sa chemise pour bander sa plaie, qui saignait abondamment.
— Il m’a dit d’faire mon dernier jour en veillant sur vous, a murmuré Dawson en tremblant de la tête aux pieds.
Il a essayé de sourire – une pauvre grimace.
— Du gâteau, que j’me suis dit...
Puis il s’est tu. Il avait perdu connaissance.
Les grosses chaussures noires d’Andy sont apparues dans mon champ de vision. Je n’ai pas bougé. J’étais sûre que Dawson allait mourir. Et moi qui ne savais même pas son prénom ! Je me suis demandé comment on allait bien pouvoir expliquer aux flics la présence d’un type à poil, au beau milieu de la nuit, en pleine rue. Peut-être que... Mais attendez un peu ! Pourquoi serait-ce à moi de fournir des explications ? Andy pouvait bien s’en charger, non ?
Comme s’il avait lu dans mes pensées – inversion des rôles, pour changer –, Andy m’a lancé :
— Tu connais ce type, non ?
— Un peu.
— En bien, tu vas devoir dire que tu le connais mieux que ça pour justifier l’absence de fringues.
J’ai dégluti.
— D’accord, ai-je ronchonné, après une courte pause.
— Vous étiez venus ici à la recherche de son chien, a repris Andy, avant de se retourner pour apostropher Buffy. Vous, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous restez un chien, vu ? Et moi, a-t-il poursuivi en s’éloignant à petits pas nerveux qui trahissaient son agitation, je suis venu ici parce que je suivais Sweetie, qui me semblait avoir un comportement suspect...
J’ai hoché la tête en silence, trop occupée à écouter l’espèce de raclement dans la poitrine de Dawson pour parler. Si seulement j’avais pu lui donner mon sang pour le guérir, comme un vampire ! Si seulement j’avais su comment le soigner ! Mais déjà, les sirènes des voitures de police et des ambulances s’élevaient, se rapprochant rapidement de nous. Rien n’est jamais très loin de rien, à Bon Temps. De ce côté-ci de la ville, l’hôpital de Grainger serait le plus proche.
— Dis-moi, Sookie, a soudain chuchoté Andy d’un ton pressant. Il faut que je te demande un truc avant que les autres arrivent. Il n’y a rien de bizarre chez Halleigh, hein ?
J’ai levé un regard ahuri vers lui. Comment pouvait-il penser à ça en un moment pareil ?
— À part qu’elle a un nom à coucher dehors, non.
Puis je me suis rappelé qui avait tué la garce qui gisait à deux mètres de moi.
— Ne t’en fais pas, Andy. Halleigh est une fille on ne peut plus normale.
— Dieu merci ! a-t-il soupiré, visiblement soulagé.
C’est alors qu’Alcee Beck a déboulé dans la ruelle.
Il s’est arrêté net, son regard allant d’un protagoniste à l’autre tandis qu’il essayait de donner un sens à la scène qu’il avait sous les yeux. Kevin Prior est arrivé juste après lui, suivi de sa coéquipière, Kenya. Les équipes de secours attendaient en retrait que la zone soit sécurisée avant d’intervenir. Je me suis retrouvée plaquée contre le mur, en train de subir une fouille en règle, avant de savoir ce qui m’arrivait.
— Désolée, Sookie, répétait Kenya. Je suis obligée. Je...
— OK, OK, ai-je coupé, agacée. Eh bien, faites-le, qu’on en finisse. Où est le chien ?
— Il s’est enfui, m’a-t-elle répondu. Les gyrophares ont dû lui faire peur. C’est un chien de saint-hubert, hein ? Il rentrera tout seul.
Sa fouille terminée, elle a repris :
— Dites-moi, Sookie, comment se fait-il que ce type soit... dans le plus simple appareil ?
Et ça ne faisait que commencer. Mon histoire ne tenait pas vraiment debout, et je voyais le doute se peindre sur tous les visages. Pour commencer, ce n’était pas franchement un temps à batifoler dehors. Ensuite, je n’étais même pas un tant soit peu débraillée. Mais Andy m’a soutenue mordicus, et vu qu’il n’y avait personne pour dire que les choses ne s’étaient pas passées comme je le prétendais...
Près de deux heures plus tard, ils m’ont enfin laissée retourner à ma voiture. Une fois chez moi, je me suis ruée sur le téléphone pour appeler l’hôpital et prendre des nouvelles de Dawson. Je ne sais par quel miracle, c’est Calvin qui a répondu.
— Il est vivant, a-t-il lâché, laconique.
— Dieu soit loué ! Merci de l’avoir envoyé pour me protéger, Calvin. Sans lui, je serais déjà morte.
— J’ai entendu dire que le flic avait descendu la coupable.
— Oui.
— J’ai entendu dire pas mal d’autres choses aussi...
— C’est compliqué.
— Je vous vois cette semaine ?
— Bien sûr.
— Allez, reposez-vous maintenant.
— Merci encore, Calvin.
Ma dette envers Calvin Norris augmentait à un tel rythme que ça en devenait carrément flippant. Je savais qu’un jour ou l’autre, je serais obligée de le rembourser... Mais, pour l’heure, j’étais morte de fatigue et mon épaule me faisait un mal de chien. Je me sentais sale, sale à l’intérieur, après avoir entendu l’horrible histoire de Sweetie, et sale tout court, d’être restée à genoux dans la ruelle, à tenter vainement d’empêcher le sang de Dawson de couler. J’ai laissé tomber mes vêtements ensanglantés sur le carrelage et je suis restée un long moment sous la douche, en m’efforçant tout de même de protéger mon bandage avec un bonnet de douche pour ne pas le mouiller, comme l’infirmière me l’avait montré.
Quand la sonnette de la porte a retenti, le lendemain matin, j’ai maudit la vie citadine. Mais ce n’était pas mon voisin qui venait m’emprunter une scie à métaux. Léonard Herveaux se tenait sur mon paillasson, une enveloppe à la main.
Je l’ai fusillé du regard entre mes paupières toutes gonflées de sommeil et, sans dire un mot, je suis retournée me coucher. Il ne s’est pas découragé pour autant.
— Tu es désormais doublement alliée de la meute, a-t-il déclaré, comme s’il m’annonçait la plus grande découverte des cinquante dernières années.
Je lui ai tourné le dos et je me suis enfouie sous les couvertures.
— Dawson dit que tu lui as sauvé la vie.
— Ravie d’apprendre que Dawson se porte assez bien pour parler, ai-je marmonné en fermant les yeux et en priant pour que Lèn s’en aille. Mais comme c’est en me protégeant qu’il s’est fait tirer dessus, ta fichue meute ne me doit rien.
A en croire le déplacement d’air, Lèn venait de s’agenouiller à mon chevet. Pitié !
— Ce n’est pas à toi d’en décider, Sookie, a-t-il rétorqué. La preuve en est que tu es convoquée à la plus prestigieuse manifestation de notre caste : le combat des candidats pour le poste de chef de meute.
— Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il faut que je fasse ?
— Assister aux épreuves et féliciter le vainqueur, quel qu’il soit.
Pour Lèn, forcément, cette guerre de succession était l’événement du siècle. Il avait du mal à comprendre que je n’aie pas les mêmes priorités. Je commençais à être submergée par un déferlement d’obligations envers un nombre toujours croissant de gens.
J’avais une dette envers Calvin. Andy Bellefleur avait une dette envers moi, envers Dawson et envers Sam pour avoir résolu son enquête. Mais j’avais une dette envers Andy pour m’avoir sauvé la vie. Quoique... Après tout, je l’avais rassuré sur la normalité de Halleigh. Peut-être que ça annulait la dette que j’avais envers lui pour avoir tiré sur Sweetie.
Eric et moi étions quittes – je l’espérais, du moins.
J’avais encore une petite dette envers Bill.
Sam et moi étions plus ou moins raccords.
Quant à Lèn, il avait une dette envers moi – dans ma manière de voir les choses, du moins. J’étais bien allée à son bras à ces funérailles à la noix, non ? Je m’étais pliée aux règles de la meute, non ? Bon, alors.
Dans mon monde à moi, le monde des humains standard, il y avait des relations à tisser et à entretenir, des dettes à contracter et à honorer, des conséquences à assumer et, parfois, des bonnes actions à faire. C’était ce qui liait les gens à la société. Peut-être même que c’était ce qui faisait la société. Et avant ma rencontre avec Bill, j’essayais de tenir mon rôle dans cette société du mieux que je le pouvais.
Entrer dans le cercle secret des Cess et des immortels avait rendu ma vie, dans la société humaine, beaucoup plus compliquée.
Et plus intéressante.
Et parfois même exaltante, voire... marrante.
Pendant que je me faisais ces profondes réflexions, Lèn avait continué à parler, et j’en avais raté une bonne partie. Il venait seulement de s’en rendre compte.
— Désolé si je t’ennuie, Sookie, a-t-il grommelé d’un ton pincé.
J’ai tourné la tête pour le regarder. Il était vexé, je le lisais dans ses beaux yeux verts.
— Tu ne m’ennuies pas. C’est juste qu’il y a beaucoup de choses qui me préoccupent, en ce moment. Laisse l’invitation sur la table de chevet, OK ? Je te recontacterai.
Je me suis vaguement demandé ce qu’on devait porter à ce genre de petite sauterie et si le grisonnant M. Herveaux senior et le quelque peu grassouillet concessionnaire Harley allaient réellement se rouler par terre et se battre comme des chiffonniers.
Les prunelles vertes étaient désormais noyées de perplexité.
— Tu réagis si bizarrement, Sookie, a dit Lèn en secouant la tête. Je me sentais tellement bien avec toi, avant. Alors que, maintenant, j’ai l’impression de ne plus te connaître.
« Pertinent » avait été un des mots du jour de mon calendrier, la semaine précédente.
— C’est une remarque pertinente, ai-je répondu d’un ton neutre. Moi aussi, j’étais super bien avec toi, quand je t’ai rencontré. Et puis, j’ai commencé à découvrir des trucs. Comme Debbie, les règles de la meute, la soumission de certains changelings aux vampires...
Il est aussitôt monté sur ses grands chevaux.
— Aucune société n’est parfaite, a-t-il répliqué. Quant à Debbie, je ne veux plus entendre parler d’elle.
— Il suffit de demander.
Dieu sait que j’en avais ma claque d’entendre son nom, moi aussi.
Abandonnant l’enveloppe sur la table de chevet, il s’est soudain penché pour me faire le baisemain. Lèn n’ayant rien d’un aristo un peu vieille France, j’en ai déduit qu’il s’agissait d’un geste rituel. J’aurais bien aimé en connaître la signification, mais quand j’ai voulu lui poser la question, il avait déjà quitté la chambre.
— Ferme la porte derrière toi ! lui ai-je lancé. Tu n’as qu’à tourner le petit bouton sur la poignée.
J’imagine qu’il l’a fait. En tout cas, je me suis aussitôt rendormie et personne n’est venu me réveiller avant qu’il ne soit pratiquement l’heure, pour moi, d’aller au boulot. Mais quand je suis sortie, j’ai trouvé un message scotché sur ma porte qui disait : « Linda T. te remplace. Prends ta soirée. Sam. » J’ai donc fait demi-tour et troqué ma tenue de serveuse contre un jean et un tee-shirt. Mais je m’étais préparée pour aller bosser et, du coup, je me sentais un peu désœuvrée.
J’ai presque sauté de joie en me rappelant que j’avais une autre obligation à remplir, et je m’y suis aussitôt attelée.
Après une heure et demie à me débattre dans une cuisine où rien n’était à sa place habituelle, j’ai réussi à mitonner un plat de blancs de poulet au riz sauce aigre-douce et à confectionner quelques cookies que j’ai emportés chez Calvin, à Hotshot. Je n’ai pas appelé pour le prévenir. J’avais juste l’intention de lui déposer son repas et de repartir. Mais, quand je suis arrivée, il y avait plusieurs voitures garées devant chez Calvin. J’ai lâché un juron. Je n’avais aucune envie de me familiariser davantage avec l’étrange petite communauté de Hotshot. La récente accession de mon frère au statut de Cess – de semi-Cess, disons – et le faible que Calvin avait pour moi m’avaient déjà entraînée beaucoup plus loin que je ne l’aurais voulu sur ce terrain glissant.
C’est donc la mort dans l’âme que j’ai passé le bras dans l’anse de mon panier en osier rempli de cookies maison et pris le plat de poulet au riz brûlant dans mes mains protégées par des gants de cuisine – geste que mon épaule gauche n’a pas apprécié –, avant d’aller frapper à la porte de Calvin.
C’est Crystal qui m’a ouvert. En voyant l’expression d’agréable surprise qui éclairait son visage, j’ai eu honte de moi.
— Je suis si contente que vous soyez venue ! s’est-elle exclamée. Mais entrez donc, je vous en prie.
Quand elle s’est écartée pour me laisser passer, j’ai pu constater que le petit salon était bondé. Mon frère était là. La plupart des personnes présentes appartenaient à la caste des panthères-garous. Logique. Mais les loups-garous de Shreveport avaient dépêché un représentant qui, à mon grand étonnement, se trouvait être... Patrick Furnan, prétendant au trône et concessionnaire Harley-Davidson à ses heures perdues.
Crystal s’est chargée des présentations. Elle m’a d’abord présentée à la femme qui semblait jouer le rôle de maîtresse de maison, Maryelizabeth Norris – à voir la façon dont elle se déplaçait, on aurait pu penser que Maryelizabeth était dépourvue de squelette. J’aurais parié qu’elle ne quittait pas souvent Hotshot... Puis Crystal s’est arrêtée successivement devant tous les membres de l’assistance, en veillant bien à me préciser la relation que chacun entretenait avec Calvin. Au bout d’un moment, j’ai commencé à tous les mélanger un peu. Mais j’ai retenu l’essentiel, à savoir qu’à de très rares exceptions près, les natifs de Hotshot se répartissaient en deux types : les petits bruns secs et nerveux, comme Crystal, et les châtains clair, plus trapus, qui avaient tous de magnifiques yeux vert et or, comme Calvin. Norris et Hait étaient les noms qui revenaient le plus souvent.
Patrick Furnan était le dernier de la file.
— Hé ! Mais on se connaît, s’est-il écrié, jovial, en m’adressant un sourire radieux – à croire qu’on avait dansé ensemble à un mariage, récemment. Mes amis, voici la fiancée de Léonard Herveaux. Léonard est le fils de l’autre candidat au titre de chef de meute.
Ça a jeté un froid : le silence a immédiatement envahi la pièce.
— Vous vous méprenez, ai-je rétorqué d’un ton poli mais ferme. Lèn et moi sommes simplement amis.
Et je lui ai rendu son sourire, en lui lançant un regard propre à lui faire comprendre qu’il n’avait pas intérêt à me croiser dans une allée déserte, un de ces soirs.
— Au temps pour moi ! a-t-il aussitôt répondu, mielleux.
C’est alors que Maryelizabeth s’est avancée vers moi. Elle a tourné le dos à Patrick Furnan, l’ignorant ostensiblement.
— Venez par ici, ma chérie. Calvin vous attend, a-t-elle claironné.
Il ne manquait plus que les trompettes ! A moins de m’obliger à marcher sur un tapis de braises pour traverser la pièce, je ne crois pas qu’elle aurait pu me mettre plus mal à l’aise – ce qui ne m’a pas empêchée de jeter un coup d’œil autour de moi au passage. Calvin était reçu chez lui en héros : la maison avait été briquée, fleurie, décorée. Il y avait des ballons dans le salon et, dans la cuisine, de quoi faire un vrai banquet.
Maryelizabeth m’a introduite dans la chambre de Calvin, laquelle était joliment et sobrement meublée – dans le style Scandinave, si tant est que je puisse identifier un style : je n’y connais rien. Calvin était assis dans son lit, le dos soutenu par deux oreillers à motifs africains qui représentaient des panthères en train de chasser. On ne manquait pas d’humour, au moins, dans cette maison ! À côté des draps bariolés et du couvre-lit orange foncé, le convalescent paraissait bien pâle. Dans son pyjama marron, il avait absolument tout du type qui sort de l’hôpital. En le voyant ainsi, je me suis prise à penser qu’il y avait quelque chose d’un peu triste, chez Calvin Norris, quelque chose qui me touchait malgré moi.
— Venez Vous asseoir, m’a-t-il lancé en m’indiquant le lit.
Il s’est poussé pour me faire de la place. Il a dû faire signe à ses gardes-malades parce que Dixie et Dixon, qui se trouvaient dans la pièce quand j’étais arrivée, sont sortis en catimini, avant de refermer la porte derrière eux.
Je me suis juchée sur le lit, à côté de lui. Il avait une de ces tables que l’on trouve habituellement dans les hôpitaux et qu’on peut rouler en travers du lit. Il y avait un verre de thé glacé et une assiette fumante posés sur le plateau. Je l’ai invité d’un geste à manger. Avant de s’exécuter, il a incliné la tête pour prier en silence. Je me suis demandé à qui il pouvait bien adresser cette prière muette.
— Racontez-moi, m’a-t-il demandé ensuite, en dépliant sa serviette.
Je me suis tout de suite sentie plus à l’aise. Il a dîné pendant que je lui relatais ce qui s’était passé dans la ruelle. J’avais tout de suite remarqué qu’on lui avait servi le plat que j’avais apporté, auquel on avait ajouté quelques légumes, et que deux de mes cookies jouxtaient son assiette. Il avait voulu me montrer qu’il appréciait le mal que je m’étais donné pour lui faire plaisir. Ça m’a émue – ce qui a immédiatement déclenché mon alarme intérieure.
— Donc, sans Dawson, Dieu sait ce qui serait arrivé, ai-je conclu. Je vous remercie de l’avoir envoyé pour me protéger. Comment va-t-il ?
— Il tient le coup. On l’a transporté par hélicoptère de Grainger à Bâton Rouge. Un humain ordinaire n’aurait pas survécu. Mais il a tenu jusque-là : je pense qu’il va s’en tirer.
Transporté par hélicoptère ? Ça m’a anéantie.
— N’allez pas vous culpabiliser pour ça. C’est Dawson qui en a décidé ainsi. C’était son choix.
J’ai retenu le « hein ? » idiot qui me venait aux lèvres et j’ai demandé :
— Comment ça ?
— C’est lui qui a choisi sa profession, qui a décidé d’agir comme il l’a fait. Il aurait peut-être dû lui sauter dessus quelques secondes plus tôt. Pourquoi a-t-il attendu ? Je ne sais pas. Comment a-t-elle su qu’il fallait viser si bas, alors qu’il faisait presque nuit ? Je ne sais pas non plus. Tout choix entraîne des conséquences.
Calvin essayait de me dire quelque chose sans y parvenir vraiment. Il n’avait pas l’habitude d’exposer ses idées. Ce n’était pas un homme de discours. Pourtant, il s’efforçait d’exprimer un truc à la fois important et abstrait.
— Personne n’a rien à se reprocher, a-t-il finalement conclu.
— J’aimerais le croire et j’espère que j’y parviendrai un jour, ai-je soupiré. Peut-être que j’en prends le chemin.
— J’imagine que les lycanthropes vont vous inviter à leur foire d’empoigne pour désigner le nouveau chef de meute, a repris Calvin.
Il m’a pris la main. La sienne était chaude et rêche.
J’ai hoché la tête.
— Je parie que vous allez y aller.
— Je ne vois pas comment je pourrais faire autrement, ai-je répondu, un peu sur la défensive.
Je me demandais où il voulait en venir.
— Je ne me permettrais pas de vous dire ce que vous devez faire, a-t-il immédiatement précisé. Je n’ai aucun droit sur vous.
Il semblait le déplorer.
— Mais si vous y allez, je vous en prie, faites attention à vous. Pas pour moi – vous n’auriez aucune raison de faire ça, pour l’instant. Mais pour vous-même.
— Ça, je veux bien vous le promettre, lui ai-je assuré après un temps de réflexion.
Calvin n’était pas de ceux à qui vous sortez le premier truc qui vous passe par la tête. C’était un homme sérieux.
Il m’a gratifiée d’un de ses trop rares sourires.
— Vous êtes une sacrée bonne cuisinière, m’a-t-il félicitée.
Je lui ai rendu son sourire.
— Merci, ai-je répondu en me levant.
Sa main s’est resserrée sur la mienne, et il m’a attirée à lui. Vous ne luttez pas contre un homme qui sort de l’hôpital. Je me suis donc penchée pour lui présenter ma joue.
— Non.
Quand j’ai tourné la tête vers lui pour voir ce qui n’allait pas, il m’a embrassée sur la bouche.
Franchement, je m’attendais à ne rien ressentir. Mais ses lèvres étaient chaudes et sèches, comme ses mains, et son haleine sentait encore ma cuisine : une odeur familière et rassurante. C’était étonnant et étonnamment réconfortant de me sentir si proche de Calvin. Je me suis un peu reculée et je suis sûre que ma surprise – mon agréable surprise – se lisait sur mon visage. Calvin a souri et m’a lâché la main.
— Ce qu’il y avait de bien, à l’hôpital, c’est que vous veniez me voir, a-t-il dit alors. Ne vous faites pas désirer, maintenant que je suis rentré.
— Bien sûr que non !
Ce n’était pas le moment de le contredire : j’étais pressée de sortir de la pièce pour pouvoir me reprendre.
Le salon s’était vidé de ses invités pendant que je m’entretenais avec Calvin. Crystal et Jason s’étaient sauvés, et Maryelizabeth ramassait les assiettes en compagnie d’une jeune panthère-garou que je n’avais pas encore vue.
— Terry, a déclaré Maryelizabeth en désignant l’adolescente. Ma fille. Nous habitons à côté.
J’ai hoché la tête à l’intention de l’intéressée, qui m’a lancé un regard noir, avant de poursuivre son activité. Elle ne faisait visiblement pas partie de mon fan-club. Elle appartenait à la lignée des yeux verts et or/cheveux châtain clair, comme Maryelizabeth et Calvin.
— Vous allez épouser mon père ? m’a-t-elle demandé.
— D’abord, je n’ai pas l’intention de me marier, pour l’instant, ai-je prudemment répondu. Et puis, j’ignore qui est ton père.
— Terry est la fille de Calvin, m’a expliqué Maryelizabeth.
Je suis restée perplexe une seconde ou deux. Puis, tout à coup, l’attitude des deux femmes, le fait qu’elles se chargent de tout remettre en ordre, leur aisance dans cette maison... tout est devenu limpide.
Je n’ai pas pipé mot, mais mon expression a dû me trahir, car les traits de Maryelizabeth se sont crispés.
— Ne vous avisez pas de nous juger ! m’a-t-elle lancé. Nous ne sommes pas comme vous.
— C’est vrai, lui ai-je calmement répondu.
Je me suis forcée à sourire.
— Merci de m’avoir présentée à vos amis. Ça me touche beaucoup. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous aider ?
— On saura se débrouiller, a répliqué Terry, avec un curieux mélange de respect et d’hostilité dans le regard.
— Nous n’aurions jamais dû t’envoyer à l’école, a pesté sa mère, dont les yeux d’or étonnamment écartés exprimaient à la fois amour et regret.
Après avoir récupéré mon manteau, je me suis empressée de les saluer, puis j’ai quitté la maison en m’efforçant de ne pas montrer la hâte que j’avais à partir. À mon grand désespoir, Patrick Furnan m’attendait près de ma voiture. Il avait un casque sous le bras, et j’ai aperçu sa Harley garée un peu plus loin.
— Ça vous intéresse d’écouter ce que j’ai à vous dire ? m’a lancé le lycanthrope.
— En fait, non.
— Il ne va pas continuer à vous aider comme ça pour rien, a cependant poursuivi Furnan.
— De quoi parlez-vous ?
— Vous ne vous en tirerez pas avec un simple « merci » et un baiser entre deux portes. Tôt ou tard, il vous demandera de payer vos dettes.
— Je ne me rappelle pas avoir sollicité vos conseils.
Il s’est avancé vers moi.
— Et gardez vos distances, je vous prie.
J’ai jeté un rapide coup d’œil circulaire. Les habitants de Hotshot, derrière leurs fenêtres ou sur le seuil de leur maison, ne perdaient pas une miette du spectacle.
— Tôt ou tard, a répété Furnan.
Il m’a soudain adressé un sourire carnassier.
— Le plus tôt sera le mieux, en ce qui me concerne. On ne peut pas tromper un lycanthrope, vous savez. Ni une panthère. Vous allez finir en charpie, déchirée entre les deux.
— Je ne trompe personne, ai-je répliqué, exaspérée par l’insistance qu’il mettait à me montrer qu’il connaissait mieux ma vie amoureuse que moi. Je ne sors avec aucun des deux.
— Alors, vous êtes sans protection, a-t-il conclu avec un éclair de triomphe dans la prunelle.
Cette conversation ne nous menait nulle part.
— Allez vous faire voir ! lui ai-je crié, à bout de nerfs.
Je suis montée dans ma voiture et j’ai démarré, laissant mon regard passer sur le loup-garou comme s’il n’existait pas. Lorsque j’ai jeté un coup d’œil dans mon rétroviseur, je l’ai vu en train d’enfiler son casque de moto, les yeux toujours braqués sur l’arrière de la Malibu.
Si, jusqu’alors, je me moquais éperdument de la compétition entre Jackson Herveaux et Patrick Furnan, je peux vous garantir que, maintenant, j’avais changé d’avis.
Que Furnan se fasse donc écrabouiller !